Faut-il faire évoluer le football ?

Depuis de nombreuses années, les enjeux liés au football, la façon de jouer au football, le profil type d’un joueur de football ont évolué mais les règles, elles, sont presque toujours les mêmes. Alors faut-il faire évoluer ce sport ?

« Au moment où 39 % des 18-24 ans n’ont aucun intérêt pour le foot ou le détestent, je pense qu’il faut que l’on se pose la question de l’évolution de ce sport. […] Personne ne m’enlèvera de l’esprit que nous sommes dans une discipline extrêmement conservatrice et qui a peur du changement. » déclarait récemment l’ancien président de l’OM Jacques-Henri Eyraud dans une interview accordée à So Foot. Si sa voix porte peu en ce moment en raison de son manque de popularité à Marseille, son opinion s’inscrit dans un mouvement plus large qui se développe notamment du côté de la FIFA. En effet, depuis son succès lors de l’élection de 2016, le président Gianni Infantino ne cesse de multiplier les propositions pour faire évoluer le football comme le montre le nouveau format de Coupe du Monde à 48 équipes qui aura pour la première fois lieu en 2026, la proposition d’organiser la Coupe d’Afrique des Nations tous les quatre ans ou encore la volonté affichée par le président d’ « améliorer la règle du hors-jeu ». A cela s’ajoute une nouveauté qui ne cesse de faire parler, il s’agit bien évidemment de la VAR. Si avant son adoption, le principal argument mis en avant pour soutenir le projet était celui de la justice, des voix s’élevaient déjà pour évoquer ses risques parmi lesquels le manque d’émotion, le temps trop élevé pour prendre des décisions ou bien la possibilité pour les arbitres de prendre de bien trop sévères décisions. Et aujourd’hui, ces critiques semblent malheureusement bien plus d’actualité que les éloges. En témoigne le but refusé à Liverpool face à Brighton en novembre dernier car Mohamed Salah était hors-jeu d’un centimètre au niveau de sa chaussure. Ainsi, l’ethnologue Christian Bromberger affiche une vision modérée vis-à-vis de la situation : « Le spectacle du football a déjà perdu en densité et en significations. Il demeure néanmoins une vision ludique et caricaturale du monde contemporain, où se conjuguent sur le chemin de la réussite le mérite individuel et le travail d’équipe, mais aussi la chance, la tricherie et une justice – celle de l’arbitre – plus ou moins discutable. »

Infantino said Germany would be in a World Cup if only two teams were involved
« Arrêtez de vivre dans le siècle dernier » avait lancé Gianni Infantino en 2017 pour répondre aux critiques visant le projet de Coupe du Monde à 48 équipes (Source : independant.co.uk)

Alors dans un contexte d’évolution en dehors du terrain en raison des enjeux financiers de plus en plus importants, la question de l’évolution du football semble néanmoins rester un sujet sensible auprès de nombreux fans. Il est en effet difficile de citer une évolution récente ayant été accompagnée d’éloges par les fans, la VAR en étant le parfait exemple. La question qui se pose est alors : pourquoi un tel attachement ? La réponse ne se trouve alors pas dans les chiffres mais dans les émotions. L’une des raisons pour lesquelles nous aimons tant le football est sa complexe simplicité. « Jouer au football est simple. Mais jouer un football simple est la chose la plus difficile qui soit » disait la légende du Barça Johan Cruyff. Les règles de ce sport sont en effet assez simples : 22 joueurs, 11 équipes, 1 ballon, 90 minutes… Mais à partir de cela le football a évolué seul sans avoir besoin de nouvelles règles. A l’origine, au XIXe faire des passes était considéré comme une honte. Des décennies plus tard, le monde du ballon rond a vu émerger une équipe pratiquant le tiki taka fait de succession de passes, de possession, de jeu collectif et cette tactique a quasiment fait l’unanimité auprès des passionnés. Dans le même temps ont émergé deux légendes aux styles opposés qui ont d’ailleurs marqué ce sport comme très peu l’ont fait auparavant. Pour cela a-t-on eu besoin de modifications du règlement ? La réponse est non et c’est ce côté conservateur, dont parlait Jacques-Henri Eyraud, qui a permis un développement infini de la créativité : de l’attaque brésilienne et ses quatre attaquants en 1982 au pressing moderne en passant par un fameux jeu à la nantaise… Les règles sont restreintes, la créativité est en revanche sans limite.

Le Barça de Cruyff, un ovni devenu référence - Eurosport
Johan Cruyff, alors entraîneur du (grand) Barça (Source : Eurosport)

Quand certains appellent à faire évoluer les règles du jeu, d’autres voient encore plus grand. Partant du même constat que Jean-Henri Eyraud, le président de la Juventus Turin Andrea Agnelli déclarait ainsi en janvier dernier : « J’ai cinq enfants d’âges différents et je regarde leurs comportements. Ils n’ont pas la patience de rester 90 minutes à regarder un match, on doit s’adapter aux habitudes des futurs supporters. » Pour l’influent homme d’affaire italien, cela ne fait aucun doute : « Nous devons leur proposer des compétitions excitantes ». Ce n’est un secret pour personne, Agnelli est le fervent partisan d’une refonte complète du football européen autour d’un projet de « Super Ligue européenne ». Pour faire simple, il souhaite concentrer les plus grands clubs du continent au sein d’une seule et même ligue fermée, sur le modèle des si lucratives NBA et autres NFL aux États-Unis, s’affranchissant ainsi complètement des instances officielles du football ainsi que des championnats nationaux. Cette idée n’est pas nouvelle. Depuis une dizaine d’années déjà, les clubs les plus puissants menacent de faire sécession si l’UEFA ne leur accorde pas les privilèges qu’ils réclament. Ainsi, réforme après réforme, la Ligue des Champions de l’UEFA avantage toujours plus ces quelques clubs capricieux. Mais depuis la pandémie de Covid-19, la Super Ligue européenne n’est plus seulement un outil de chantage, elle est devenue une option sérieuse, voire une nécessité pour surmonter la crise. Au moment de démissionner de la présidence du FC Barcelone, Josep Bartomeu déclarait ainsi : « Le comité de direction a approuvé […] l’acceptation des prérequis pour participer à une future Super Ligue européenne entre clubs de football ». Dos au mur, l’UEFA ne peut malheureusement pas faire grand-chose : d’après la Commission européenne, il est parfaitement légal et même appréciable que des organisateurs indépendants concurrencent les fédérations officielles. Cédant encore une fois à la pression des grands clubs, l’UEFA a ainsi annoncé une réforme massive de la Ligue des Champions, qui sera dévoilée mercredi, ainsi que la suppression du fair-play financier. En clair, qu’elle soit organisée par l’UEFA ou par les clubs eux-mêmes, l’avènement d’une Super Ligue dans les prochaines années semble inévitable.

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Qu’est-ce que cette évolution signifierait pour notre football ? Du côté des grands clubs, on comprend aisément l’intérêt : avoir des Real-Bayern ou des Juventus-City tous les week-ends est éminemment plus attractif que de mornes PSG-Dijon ou Barça-Getafe. Les droits TV s’en frottent déjà les mains : cette compétition deviendrait instantanément la plus puissante au monde, surpassant probablement les ligues américaines. Mais aurait-elle un sens pour autant ? Le football est par essence un sport basé sur l’attente et la lenteur, alternant entre quelques temps forts et beaucoup de temps faibles. Au niveau du calendrier, un PSG-Barça n’a de saveur que parce qu’il est intercalé entre une dizaine de matchs sans enjeu, il n’est attendu que parce qu’il est rare. Au niveau des matchs ensuite, peu importe ce qu’en pensent les enfants d’Agnelli, rien n’est plus beau qu’un éclair de génie dans une rencontre ennuyeuse à mourir, qu’un but libérateur à la dernière minute du temps additionnel. Une victoire arrachée 1-0 contre le cours du jeu sera toujours plus jouissive qu’un match écrasé par cinq buts d’écart. En somme, en voulant rendre tout intense, la Super Ligue tuerait le football en son cœur. Mais ça, les superclubs n’en ont que faire. Cette compétition n’est pas adressée aux supporters, mais aux consommateurs ; elle ne vise pas à satisfaire ceux qui se rendent au stade chaque week-end depuis des décennies, mais à séduire les marchés internationaux. Par conséquent, l’union de tous les groupes de supporters européens contre la Super Ligue n’y changera rien : un Barcelonais de perdu, c’est dix Chinois de retrouvés. Et il faut bien comprendre une chose : les consommateurs visés n’aiment pas le football. Ils auront beau collectionner les maillots third, jouer quotidiennement à FIFA et regarder en boucle les plus beaux skills de Cristiano Ronaldo, rien de tout cela ne fera d’eux de vrais passionnés, bien au contraire.

Tribune ultra
 Pakawich Damrongkiattisak/Getty Images

Les authentiques supporters pourront quant à eux se tourner vers des championnats nationaux qui retrouveraient de leur intérêt en l’absence de ces clubs richissimes qui confisquent le trophée depuis des années. Une Ligue 1 sans le PSG, une Serie A sans la Juve ou une Bundesliga sans le Bayern, c’est l’assurance d’un suspense retrouvé. Et au fond, c’est peut-être ça qui nous attend : un football à deux vitesses, avec d’un côté les paillettes, le champagne en loge et les abonnements hors de prix ; et de l’autre la sueur, la douce odeur de merguez en buvette et les places à huit euros. Arrivé à ce point, il serait tentant de lâcher l’affaire, de se dire qu’au fond, la meilleure chose qui puisse arriver à ce sport serait de se débarrasser de ces superclubs qui le pourrissent par leur argent. Mais est-ce seulement souhaitable ? Encore une fois, la force du football repose dans sa diversité. Avoir les grands clubs d’un côté et les petits de l’autre, séparer « vrais » et « faux » supporters, n’est pas une solution viable. Non, il faudrait surtout rétablir une certaine équité entre les clubs et répartir plus justement les richesses, à l’image du football pré-Bosman : pas plus d’une ou deux stars par équipe, une multitude de clubs compétitifs en championnat comme en Europe. Une utopie, dites-vous ? Peut-être bien, mais en un sens, la Super Ligue en est une aussi. Ce n’est simplement pas la nôtre.

AP Photo/Dave Thomson

Andrea et Cyrus.

Image : Getty Images

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